(AVERTISSEMENT : Cet article est peut-être un peu plus destiné à un public masculin.)
Cher lecteur,
Mes relations avec les femmes m’ont toujours demandé beaucoup de temps, d’introspection et d’expérience avant d’esquisser un peu de stabilité.
Une des principales barrières à l’édification d’une relation saine avec une femme est, selon moi, la concupiscence. C’est la bestialité qui est en nous qui se manifeste par des envies charnelles.
Une rencontre quelconque avec une femme qui me plaît physiquement peut rapidement me monter la tête. Il suffit que l’attraction physique soit suffisante pour que je sois littéralement obnubilé par la personne. Je passe des jours dans une forme de folie à me projeter dans des situations qui me font plaisir et satisfont mon besoin de chair. Le plus pernicieux dans cette perversion est peut-être son ancrage quasi-instantané et très profond. Même en faisant soigneusement attention à éloigner ces images, elles reviennent. Le besoin sexuel déréglé est un obstacle auquel j’ai été personnellement souvent confronté et qui m’a causé beaucoup de tort. Je tiens vraiment à souligner le fait que la concupiscence s’attache vite au cœur et ombrage très rapidement la vie quotidienne. Au point que cela en devienne handicapant dans la vie en société, dans l’étude et dans l’accomplissement moral.
Pour mieux comprendre ce problème, et finalement comment le traiter, il faut cibler les origines de ce mauvais penchant. A mon avis les racines sont au nombre de deux :
– La pensée est le cœur et le lieu de génération de pensées concupiscentes. Tout se déroule dans l’esprit et dans la tête. Avec un peu de matière l’esprit peut bâtir un univers entier. Ainsi, ne pas garder fermement son esprit dans la vertu et la quête de probité est la porte royale vers toutes les déviances des pensées, dont la concupiscence.
– La nature et les besoins sexuels « forcent » l’esprit à se tendre vers des idées charnelles. Les hormones et l’instinct de survie de l’espèce poussent une personne à vouloir se reproduire avec le partenaire qui lui plaît. De cela découle le manque de discernement, ou l’aveuglement qui ne tient compte que de l’apparence et pas de la personne. C’est une négation des bases pour fonder une relation saine et durable au profit d’un plaisir charnel immédiat.
Quels traitements pouvons-nous apporter pour déraciner ce mal à la double origine ?
Premièrement, les pensées.
Les anciens, cités par Maître Kong, disaient : l’esprit ne doit « Jamais dévier. ». Ou plus clairement « Ne pas avoir de pensées dépravées. » [1].
Effectivement, même les anciens sages avaient ordonnés de mettre une garde à nos pensées. Si l’on ôte quelques pierres qui jugulent un cours d’eau, une simple rivière peut devenir un torrent. Le travail nécessaire pour re-transformer ce torrent en rivière sera colossal à cause de la force de l’eau. Voilà où je voulais en venir à propos des pensées et de la nécessité de constamment les juguler sous peine d’être submergé par un courant destructeur.
Ce flot emportera avec lui la clairvoyance de l’Homme de bien et d’étude. Au même titre que le torrent peut arracher une belle fleur qui se situe au bord de l’eau. De cette façon, nous nous privons d’une vision claire et pure pour analyser les événements et y réagir sainement en faisant appel à la sagesse que l’on essaye d’acquérir.
Maître Kong disait d’une personne « Il est trop esclave de ses désirs pour rester inflexible en toutes circonstances. » ou « Il est trop esclave de ses appétits pour être ferme. » [2].
Tel était le sens de mon propos précédent.
Ainsi, nous voyons l’importance de maîtriser ce qui se passe dans notre esprit. En plus de la vigilance à l’égard des fantasmes, j’ajouterai qu’une activité physique soutenue aide à diminuer l’intensité de ces derniers. Le corps étant fatigué par l’activité, il sera concentré à faire plutôt qu’à penser. J’ai pu remarquer que le mal diminuait de manière conséquente grâce à ce type d’exercice. Une autre alternative est le jeûne rituel ou religieux. Le corps sera fatigué par l’appétit, donc, l’imagination sera amoindrit.
Je pense que Maître Kong suggérait cela lorsqu’il disait « Jeune, les souffles sanguins irrépressible, il doit se garder de la concupiscence ; dans la fleur de l’âge, les souffles sanguins en pleine vigueur, il doit se garder de l’agressivité. » [3].
Secondement, l’instinct sexuel.
Cette inclination naturelle est poussée par des facteurs biologiques comme les hormones, le besoin de répandre ses gènes (cf. la théorie du gène égoïste de Richard Dawkins) et simplement de se reproduire pour proliférer. Cette tendance animale a besoin d’être régulée par l’Homme de vertu afin de ne pas être esclave de lui-même et de voir clair. En ne voyant que l’extérieur on en oublie l’intérieur.
C’est dans ce cas que Maître Kong relève la phrase suivante du livre des odes (Cheu king) : « Il veut femme nouvelle non pour l’argent mais pour goût du changement. » [4].
En effet, la nature poussant à se répandre, est dure à contenter. D’où la haute vertu de maîtriser nos besoins sexuels. (La citation précédente sur les souffles sanguins est ici très pertinente également.)
A mon sens, le goût du changement dont les anciens parlent traduit le manque de discernement de l’homme de peu. Autrement dit, il ne sait pas discriminer les apparences du fond, ni la sauvagerie innée de la bienséance de l’homme éduqué. Préférant la belle allure d’une femme quelconque il laisse aller ses envies grossières. Ces convoitises corporelles ne sont que des illusions. A peine rassasiée que l’on voit lucide de nouveau. N’est-ce pas après avoir mangé lorsque l’on est affamé que l’on retrouve un esprit net ? Là où je veux en venir c’est que vouloir forniquer ne tient compte que d’une pulsion instantanée qui nous ramène à notre condition animale. Ce n’est pas en écoutant cette nature qui agit comme un mirage que l’on trouvera la bonté et l’honneur d’être un Homme noble.
A part se satisfaire pour quelques minutes, dégrader les bonnes relations entre hommes et femmes et utiliser l’autre, la fornication n’apporte rien. On ne construit pas avec une pulsion égoïste et capricieuse qui nie la personne.
La réponse de Maître Kong est expéditive à ce sujet : « On ne fait pas de projets en commun quand les voies divergent. » [5].
A ne voir que l’apparence on ne tient pas compte de la nature profonde de l’autre. Peut-être ne nous convient-il pas ? Comment le savoir si l’on ne fait que partager son corps pendant un instant ? Le Maître le dit directement, car c’est évident. Pourquoi perdre son temps, son énergie et ses efforts dans l’étude avec quelqu’un qui ne partage pas nos voies ? Et c’est exactement ce que nous faisons en échangeant des fluides corporels pour une nuit sans porter attention à la personne et à ce qu’il est réellement, intérieurement. (A l’instar, une vraie relation se construit avec un amour honnête et complice, et une attitude droite.)
Pour conclure je souhaite résumer ce qui a été dit. La concupiscence nuit à notre nature d’Homme vertueux en obscurcissant la vision (par les pensées), en dégradant notre nature et en ne considérant pas l’autre (instinct sexuel déréglé). De cela découle des efforts colossaux pour arracher cette impureté morale (car intimement liée à notre passé animal) et une fausse route pour la création d’une relation qui à terme pourrait créer une cellule familiale.
Redoublons d’efforts au quotidien, soyons vigilants et aimons sincèrement la vertu. Relevons le défi que nous lance le Maître afin d’être de vrais sages confucéens: « Verrai-je jamais désir de vertu aussi fort qu’instinct charnel ? » [6].
[1] Livre des odes (Cheu king), cité par Maître Kong, 2 : 2 Entretiens (Lunyu) Trad.1 : Anne Cheng et Trad. 2 par mes soins de l’Anglais au Français : Xinzhong Yao.
[2] 5 : 10 Entretiens (Lunyu) Trad.1 : Anne Cheng et Trad. 2 : Jean Levi.
[3] 16 : 7 Entretiens (Lunyu) Trad. Jean Levi.
[4] 12 : 10 Entretiens (Lunyu) Trad. Jean Levi.
[5] 15 : 39 Entretiens (Lunyu) Trad. Jean Levi.
[6] 9 : 17 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng