La pauvreté affûte la vertu et le vice

Chers lecteurs,

Je reviens tout juste d’un voyage à l’étranger, d’un pays pauvre. Ce voyage fût enrichissant, plein d’aventures, de bons et de moins bons moments. Je suis parti sans attente particulière, j’y allai simplement en espérant vivre une expédition qui me marquerait et me ferait grandir. Peu importait la manière dont tout se passerait, je souhaitai surtout en extraire des bénéfices.

L’organisation de mon séjour a été faite rapidement, avec peu de préparatifs et surtout sans guide ou artifice. Je voulais voir le vrai pays. Pas celui des hôtels de luxe, mais bien le quotidien des personnes.

Ces notes de voyage vont résumer plusieurs observations que j’ai pu faire avec du recul. La première que je vous présente aujourd’hui, chers ami(e)s, concerne l’influence de la pauvreté sur les vertus morales.

Un des inconvénients de venir dans un pays plus pauvre que son pays d’origine est que la discrétion n’est pas de la partie. Les vêtements, l’attitude, finalement tout nous trahit. Pour les autochtones nous sommes en quelque sorte « fluorescents ». L’absence de furtivité, lorsqu’elle est associée aux richesses, provoque une réaction directe : les démunis viennent vous adresser la parole. Et c’est à ces discussions que je vais me référer dans cet article. Il y a deux types de personnes d’humbles conditions : les doux et honnêtes, les vicieux et menteurs. Les premiers auxquels j’ai été confronté appartiennent à la seconde catégorie, il me paraît donc logique de débuter par eux.

– J’étais dans une rue en direction du centre historique de la ville où je me trouvais. J’étais arrêté à un carrefour et attendais que les voitures me cèdent le passage. C’est alors que quelqu’un m’approche et ouvre le dialogue. Je le restitue brièvement en dessous :

– Salut, d’où viens-tu ?

– Salut, je viens de France

– Ah oui ?! Le pays de Zinédine Zidane et de la tour Eiffel !

– Tout à fait.

– Où vas-tu ?

– En centre ville.

– Ah oui ? Attends, viens avec moi faut que je te montre un monument qui est sur la route.

C’est exactement le standard du début d’une discussion avec ces pauvres gens, qui s’avèrent finalement peu recommandables. Le procédé est toujours identique. Ils sont sympathiques au premier abord, vous emmène en premier dans un lieu intéressant puis après vous proposent de vous montrer un magasin de produits traditionnels à un faible coût.

Avec un peu de discernement, on repère le piège puis on décline l’offre. La personne va changer radicalement et révéler sa vraie nature, son visage va se raidir et elle finira par partir agacée. Après enquête auprès des locaux honnêtes, il s’avère finalement que ces gens appartiennent à un réseau d’escrocs qui vendent des contrefaçons. Ou pire, qui vous agresse physiquement pour vous voler une fois à l’écart de la foule.

Expliqué ainsi le subterfuge parait évident. Mais il est difficile de repérer le mensonge. Pourquoi est-ce difficile ? D’abord, car la sûreté réputée du pays en question permet de diminuer notre vigilance de tous les instants, ce qui laisse plus d’ouvertures à ce genre d’interactions sociales. Deuxièmement, la présence de la foule nous met en confiance (la même situation dans une ruelle sombre serait totalement différente). Et enfin, ces personnes vicieuses savent vous mettre à l’aise.

– A l’opposé radical, il y a des malheureux qui sont de véritables lumières dans une société perverse. Deux exemples m’ont marqué.

Première histoire : j’étais perdu en plein milieu d’une ville, j’étais fatigué et j’avais faim. Je souhaitais simplement rentrer dans mon logement. Je m’arrête un instant, regarde autour de moi et je cherche une personne à qui je puisse demander ma route. Je vois un homme âgé (environ 70 ans), très pauvre mais au visage pur. Je tente le coup et je vais lui parler. Il m’expliqua calmement comment faire pour rentrer chez moi. Puis, nous nous saluons et nous partons chacun de notre côté. Quelques minutes plus tard il revient vers moi : pose sa main délicatement sur mon épaule et me dit « Mon fils, écoutes moi bien, ici les gens sont pauvres et tristes, donc fais attention, certains te veulent du mal. Prends garde à toi. ». Son regard m’a littéralement aspiré. Il y avait beaucoup de gentillesse et de compassion. Lui, le vieux pauvre avait toutes les raisons de me détester, moi, le jeune riche. Mais non, il a été bienveillant. Merci grand père riche de noblesse.

Seconde histoire : j’allais prendre le bus que les locaux utilisent pour rentrer en centre ville (il y a des bus pour les habitants du pays et des bus pour les touristes, il y a un cloisonnement bien établis). Trois personnes âgées s’avancent vers moi et me disent « Ne payes pas plus que ce montant au chauffeur, d’accord ? Ils essayent toujours d’abuser des touristes. ». Je monte dans le bus, donne les pièces suffisantes au chauffeur. Ce dernier me regarda plein de haine et commença à se lever pour protester. C’est alors que les trois anciens qui avaient discuté avec moi plus tôt se sont penchés face au chauffeur et l’ont fixé avec insistance tout en lui souriant. Sans une seule parole le chauffeur s’est ravisé et s’est assis pour continuer sa route. Plus tard, ces personnes âgées me regardèrent avec un grand sourire en guise de salutations avant de sortir du bus. Merci à vous trois, mes anges gardiens de l’instant.

J’ai plusieurs autres exemples qui illustrent ces deux catégories d’individus, mais j’ai choisis d’illustrer le vice et la vertu par ces courtes chroniques qui sont les plus représentatives à mon goût.

Que conclure ? Mon observation est très simple : plus les personnes sont démunis, plus leur moralité sera visible. Ne possédant rien, il ne reste que l’entité morale de la personne. Le superficiel et les artifices habituellement utilisés par les codes sociaux sont annulés. La pauvreté va aiguiser, améliorer et affûter les qualités ou les défauts. Ne nous attardons pas sur les défauts, car nous savons naturellement que c’est ce qui est à éviter pour devenir un bon lettré confucéen.

A propos de la pauvreté et des vertus, je pense que le Maitre voulait parler de cela lorsqu’il disait : «  Ce n’est qu’au plus froid de l’année que, derniers à perdre leur feuillage, le pin et le cyprès révèlent leur ténacité. » [1].

Autrement dit : lorsque les situations deviennent difficiles, c’est alors que l’on voit ceux qui ont une haute valeur morale et résistent. Se montrer valeureux lorsque tout concoure à son bien-être est aisé. Cependant, quand les embûches se révèlent, continuer à être quelqu’un de bien est plus difficile. Lorsque notre vie se dégrade ou s’appauvrit, la nervosité et l’impatience peuvent surgir car nous n’arrivons plus à maîtriser la situation. On diminue alors nos qualités éthiques et humaines et on redevient des animaux. Le vrai sage, celui qui cherche réellement à être un homme noble acceptera la situation et utilisera cette dernière à son avantage.

A ce sujet, Zhang Zai l’ancien écrit : « Dans la pauvreté : mes deuils et mes peines concourent au perfectionnement de ma vertu. » [2]. Au même titre Zengzi, un des disciples du maître, dit : « Le prince sage imite l’ouvrier qui coupe et lime l’ivoire : il s’applique à l’étude de la sagesse et à son perfectionnement. » [3].

Je terminerai cet article en disant que ce voyage aura été l’occasion de sortir de ma zone de confort et d’expérimenter dans ma chair la pauvreté dont je viens de parler. J’avais peu de nourriture et j’étais très malade. J’ai perdu 5 kilos en une semaine. Être dans un tel état dans un pays qui n’est pas le sien permet de remettre énormément de choses en perspectives. Notamment de voir ses forces et faiblesses morales. Définitivement, la pauvreté affûte le vice et la vertu. Et en tant qu’étudiant confucéen, je choisis d’affûter la vertu.

[1] 9 : 27 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng

[2] Extrait de l’Inscription occidentale de Zhang Zai, elle-même extraite de l’étude de la sagesse en dix diagrammes de Yi Hwang (T’oegye), p. 59

[3] 7 Grande étude (Daxue) Trad. P. Séraphin Couvreur

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