Compétition : dégradation et amélioration de l’harmonie sociale

Chers lecteurs,

On se retrouve aujourd’hui pour une nouvelle exégèse autour du thème de la compétition :

Le Maître a dit : « 1- Les anciens avaient raison, au tir à l’arc, quelle vanité de vouloir transpercer la cible ! Il y en aura toujours de plus forts que toi. / 2- Ce qui importe, c’est la rectitude du geste. » (« 1- Au tir à l’arc, le principal n’est pas la cible, car la force de chacun n’est pas égale, / 2- mais la voie des anciens [est le paramètre le plus important]. ») [1].

1- Le tir à l’arc était une discipline compétitive noble aux temps du Maître. Il l’a lui même définit comme une pratique que l’homme de vertu devait parfaire. Cependant, il a extrait de la compétition l’essence la plus pure, à savoir : la quête permanente de l’amélioration de soi. Ainsi, l’homme de bien cherche à s’améliorer moralement comme le tailleur qui travaille le jade pour rendre cette pierre parfaite :

« Tailler, puis limer.

Sculpter, puis polir. » [2].

Effectivement, la compétition a cette faculté d’aider à se parfaire mais elle comporte aussi des désagréments que le Maître critique. En l’occurrence il dénonce la primauté du besoin d’être supérieur aux autres dans un domaine, (ici, le tir à l’arc), plutôt que la transformation de soi. La perversion de cet élitisme mal-placé peut mener à rompre l’harmonie entre les personnes. La compétition peut omettre de placer la vertu d’humanité comme but ultime à atteindre pour soi et pour la société. Voyons deux exemples : un premier qui est personnel et mineur, et un autre, général et majeur.

– J’ai l’habitude de jouer aux jeux de société entre amis et en famille. C’est un excellent moyen de resserrer les liens entre personnes et de se divertir sans se rendre stupide. Mais il arrive de manière régulière de jouer avec un mauvais perdant. Dans ce type de cas, jouer peut devenir amer plus qu’amusant et socialement intelligent. C’est ce qui est arrivé à plusieurs reprises avec un ami qui ne supporte pas de perdre. Le bilan étant qu’il ne souhaitait plus jouer avec nous et que certaines relations se sont refroidies temporairement. Ce qui devait être un moment convivial autour d’un jeu se transforme en conflit pour obtenir la première place. Puis, se termine en une légère rupture de l’harmonie amicale ou familiale.

– Les recherches en biologie et en médecine ont pour but de comprendre les mécanismes du corps humain et d’aider à guérir les maladies pour le bien commun. Les sciences médicales fonctionnent autour de la publication d’articles scientifiques qui résument les avancées dans des journaux spécialisés. Les chercheurs en biologie font la somme d’un projet dans un article qu’ils soumettent à une revue spécialisée. A son tour, cet journal demandera à d’autres scientifiques d’évaluer le document. A l’issue de cette appréciation, le journal scientifique publiera ou non le manuscrit. Plus une équipe de recherche a d’articles publiés (sous entendu : acceptés dans un journal spécialisé), plus elle pourra prétendre à obtenir des financements pour continuer ses travaux. Le leitmotiv de la science est le suivant : « Publish or perish » (Publiez ou mourrez). Autrement dit : si vous n’avez pas de publications, vous n’aurez pas de financements.

Quelles sont les conséquences de ce mécanisme ? Les chercheurs en biologie font une course à la publication afin de financer leurs projets scientifiques. Les biologistes doivent publier à tout prix un article pour extraire des bénéfices monétaires de cette compétition. Il en découle une lutte entre groupes de recherche « concurrents » alors qu’ils travaillent sur une même maladie.

Le drame de ce mode de fonctionnement est que certains sont amenés à tricher pour pouvoir publier plus rapidement et persister dans leurs travaux [3]. Un autre aspect péjoratif de cette compétition est l’absence de travail commun. De la sorte, il n y a pas de capitalisation des forces dans le but de trouver une solution rapidement. Le Professeur John Ioannidis parle depuis des années des problèmes ci-dessus. Une de ses propositions est d’augmenter les collaborations entre équipes de recherche.

Avec ces deux exemples nous pouvons illustrer ce que le Maître souhaitait dire. La compétition peut être bonne uniquement lorsqu’elle a pour finalité la sublimation de la personne. Mais elle peut aussi dégrader la nature de l’Homme, en favorisant une quête pour atteindre sa cible avant ou mieux que les autres. Ainsi, la vertu d’harmonie entre humains est perdue au profit de l’ego et de l’écrasement des autres. De plus, cette course est vouée à l’échec, car il arrive forcément que nous soyons confrontés à quelqu’un de supérieur à nous dans un domaine ou un autre.

2- Dans la partie précédente nous avons observé que la compétition devait être utilisée à bon escient pour en tirer le meilleur. Nous avons vu également les prémices de ce qu’elle pouvait apporter de bon. Brièvement, elle peut stimuler le perfectionnement de la vertu Confucéenne.

Rectifier son geste, ou suivre la Voie des anciens (comprenez la Voie vertueuse Confucéenne) peut se comprendre de la manière suivante :

« Exige beaucoup de toi-même et peu des autres, c’est le moyen d’écarter toute animosité. » [4].

C’est à dire : travaillons dur sur nous afin de tendre le plus possible vers l’idéal de l’homme de bien Confucéen. Mais gardons toujours beaucoup d’indulgence et de sympathie pour les autres, quelque soit le contexte. En effet, chacun dispose de forces différentes, et utiliser la dureté contre autrui ne lui permettra pas de se corriger. Notre bienveillance permet d’aider, de stimuler et d’éviter toute animosité. Dans le contexte de la compétition nous pouvons effectuer un double travail :

– Nous nous améliorons en nous confrontons aux autres sainement,

– Nous aidons notre prochain par une approche correcte du challenge, ce qui préserve l’harmonie entre Hommes en n’éveillant pas d’amertume.

Dans la situation compétitive l’aide au prochain peut paraître obscure, c’est ainsi que les paroles de Maître Kong peuvent encore nous éclairer :

« Le sage aide les autres à bien faire, mais non à mal faire. L’homme vulgaire tient une conduite tout opposée. » [5].

Nous pouvons aider à orienter la compétition vers quelque chose de noble si notre comportement reflète la vertu. Comme suggéré précédemment, notre exemple permet d’incliner ceux qui nous entourent à adopter une attitude vertueuse selon la norme donnée par le Maître.

Pour revenir aux exemples que j’ai cité :

– L’ami en question nous rejoint dans des parties de cartes de manière régulière. Nous essayons tous de changer d’approche lors d’une défaite en prenant cela avec le sourire dans une état d’esprit de camaraderie. De la sorte, la compétition qui a pu prendre parfois des tournures désagréables redevient un moment chaleureux.

– Changer tout le fonctionnement du travail des scientifiques est une tâche à accomplir sur plusieurs années. Mais des initiatives comme celle du Pr. Ioannidis aident à une prise de conscience dans ce milieu professionnel. Également, des maisons d’éditions libres [6] commencent à apparaitre, éjectant le caractère compétitif, financier et malsain.  De fait, tout le monde peut faire apparaitre ses travaux librement. Ce sera aux scientifiques de juger si ces documents sont valables ou pas. Il reste encore beaucoup à accomplir pour que les chercheurs collaborent entre eux plutôt qu’ils ne se confrontent. Cependant, ces événements sont encourageants.

Finalement, ne nous trompons pas de cible : choisissons de tailler et de sculpter notre vertu –amélioration-, supérieurement à la poursuite de la gloire et des luttes individuelles –dégradation-.

De cette façon, nous ferons cercle autour de la vertu –harmonie-.

« Un homme vertueux attire toujours des imitateurs. » [7].

 

 

[1] 3 : 16 Lunyu (Entretiens) Trad. 1 Anne Cheng et Trad. 2 Charles Delaunay (aide à la compréhension ajoutée par mes soins entre crochets)

[2] Ôdes 55 Livre des Ôdes (Cheu King) Trad. 1 Anne Cheng dans les Entretiens 1 : 15

[3] Quelques exemples :

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2015/07/10/olivier-voinnet-star-de-la-biologie-vegetale-sanctionne-par-le-cnrs_4678980_1650684.html

http://www.lapresse.ca/actualites/enquetes/201709/12/01-5132442-les-tricheurs-de-la-science.php

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/01/19/arrivee-d-antoine-petit-apres-le-depart-precipite-d-anne-peyroche-a-la-tete-du-cnrs_5243990_1650684.html

[4] 15 : 14 Lunyu (Entretiens) Trad. Anne Cheng

[5] 12 : 16 Lunyu (Entretiens) Trad. P. Séraphin Couvreur

[6] http://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/03/20/biorxiv-org-revolutionne-la-diffusion-des-travaux-de-recherche_5273699_1650684.html

[7] 4 : 24 Lunyu (Entretiens) Trad. P. Séraphin Couvreur

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