Préambule : chers lecteurs, ce nouvel article est le fruit d’une digression à partir d’un sujet proposé par un lecteur loyal (mes salutations à ce dernier). Le thème soulevé était « la solitude ».
Après réflexion et étude, je vais élargir ce thème aux épreuves de la vie. Cette extension provient de l’idée que nous affrontons chaque problème seul. Les proches peuvent nous soutenir, nous aider, nous conseiller, mais au final régler une mauvaise affaire est de notre ressort.
Pour illustrer mon propos, j’ai décidé de partir de l’exemple de la vie du Maître. Je me suis inspiré du chapitre biographique de Maître Kong tiré des « Mémoires Historiques » de Sima Qian, ainsi que de l’étude biographique du Maître par Yasushi Inoue pour rédiger cet article.
Première partie : un long pèlerinage
Bien que les enseignements du Maître resplendissent aujourd’hui à travers le monde. Que sa conception de la vie et de la société a profondément influencé de nombreux pays en Asie et gagne de l’intérêt en occident. La vie de Kong Qiu, nommé en société Zhongni, aujourd’hui connu comme Kong Fuzi (Maître Kong), n’a pas été commode.
Il vécut modestement dans la principauté de Lu sans avoir connu son père. Ce point semble crucial dans la vie du Maître. Cela aurait stimulé son attitude respectueuse afin de plaire à son père défunt et sa sensibilité à l’harmonie entre Hommes. En effet, la société Chinoise de l’époque avait une grande considération pour les ancêtres décédés. Chaque famille vouait un culte à ses aïeux pour s’attirer leurs bonnes grâces et honorer les anciens.
Ainsi, le jeune Kong Qiu était très attaché aux rites et aux bons comportements. Il débuta des études pour devenir Lettré. Ce qui est entendu par « Lettré » correspond à la formation des élites intellectuelles de l’époque. Les Lettrés, au même titre que les philosophes grecques, maitrisaient plusieurs disciplines. Traditionnellement, ils devaient connaitre parfaitement les six arts (les rites religieux, la musique, le tir à l’arc, la conduite de char à cheval, la calligraphie et les mathématiques). Les meilleurs d’entre eux accédaient à des postes de hauts-fonctionnaires et servaient le prince d’un état ou un autre dignitaire.
Le Maître exerça des fonctions de ministre auprès du duc de Lu et entreprit de réformer moralement ce dernier. Les conseils au duc servaient à l’élever éthiquement pour que le peuple de Lu puisse en bénéficier et soit dirigé par un dignitaire noble qui prend soin de la population. Cependant, cette application généralisée du Ren (l’humanisme Confucéen, voir article précédent) a échoué car le chef de l’état de Lu ne prenait pas le Maître au sérieux. Kong Qiu aurait alors quitté ses fonctions de ministre de l’état de Lu, déçu et trahit par sa hiérarchie avec qui il était à présent en désaccord.
Sans emploi, le Maître a chuté socialement et se retrouva presque mendiant. Il décida de partir, accompagné de quelques disciples, visiter les autres principautés pour tenter de prodiguer ses enseignements aux princes.
Pendant quatorze années il vécut dans l’indigence à parcourir les différents états. Durant ces quatorze années, aucun dignitaire ne l’a écouté. Cette période aura été également marquée par la mort de deux de ses disciples les plus proches : Yan Hui et Zilu, ainsi que celle de son fils, Boyu. Las de ne pouvoir dispenser son instruction il retourna à Lu pour former ses élèves aux bonnes pratiques et les parfaire dans la vertu. Le Maître s’éteindra âgé de plus de soixante-dix ans.
Comme nous pouvons le voir dans cette description abrégée de la vie de Maître Kong, ce dernier n’a pas côtoyé la gloire, ni le luxe d’une vie paisible.
Il a connu la déchéance sociale, la solitude, la pauvreté, les humiliations, le drame de la mort de ses enfants (spirituels et charnels) et le naufrage de son vaste projet pour l’humanité.
La vie du Maître aura été définitivement un pèlerinage pénible et douloureux.
Deuxième partie : la persévérance Confucéenne
Comment franchir les adversités de l’existence ? Je vais prendre un exemple.
Comme tout le monde je rencontre des moments difficiles, des questionnements ou des périodes de désespoir. Dernièrement, une opération médicale a été l’élément déclencheur de toutes sortes de questions :
Ma santé diminue, comment affronter ces douleurs corporelles ?
Mes parents vieillissent, que ferai-je sans eux ?
Je n’ai pas achevé la moitié de ce que j’ai entrepris, suis-je un bon à rien ?
Comment vais-je régler ce problème relationnel avec untel ?
La vie s’écoule très vite et il me reste tant à accomplir, vais-je un jour voir le bout ?
Un événement malheureux génère très souvent ce type d’idées. Il en découle toujours le même résultat : une sensation de perte de contrôle de sa vie, un manque de concentration et finalement un écart de l’attitude de l’homme vertueux à cause des inquiétudes. Cette forme de folie dépressive est l’ennemi de la Vertu et doit être éradiquée rapidement. Me concernant, lorsque je suis dans cet état, je ne trouve pas de paix, ni de repos, mon appétit diminue et je deviens vacillant. Ainsi, il n y a plus de temps consacré à la pratique de la Voie et la vie vertueuse diminue en faveur de l’anxiété.
C’est à cet instant, face à un coup porté par la vie, que nous pouvons voir nos limites, nos forces et nos faiblesses. Les peines viennent, elles font parties de l’existence, c’est une occasion de sonder nos capacités.
Le Maître disait d’ailleurs : « C’est seulement quand le froid de l’hiver est arrivé qu’on s’aperçoit que le pin et le cyprès perdent leurs feuilles après tous les autres arbres. » [1]. Autrement dit, lorsque les difficultés arrivent, nous pouvons mesurer notre pratique de la Voie.
Effectivement, ce qui fait la puissance de l’homme de bien c’est sa constance et son acharnement à être vertueux.
Je pense que cette notion d’insistance était exprimée par le Maître à cette occasion : « Si l’homme sage abandonne la voie de la vertu, comment soutiendra-t-il son titre de sage ? L’homme sage ne l’abandonne jamais, pas même le temps d’un repas. Il y demeure toujours, même au milieu des affaires les plus pressantes, même au milieu des plus grands troubles. » [2].
L’eau érode la pierre par son flot continu.
Le feu tord le métal par sa chaleur permanente.
La Vertu du Confucéen lui permet de briser un malheur par sa persévérance.
A ce propos, Maître Xun (un grand héritier de Maître Kong) disait : « L’homme accompli n’étudie pas [la Vertu] afin d’être reconnu mais pour traverser la misère sans en souffrir, supporter les soucis sans que sa pensée en pâtisse. » [3].
Nous voyons que les anciens proposaient des leçons d’endurance morale afin que nous puissions affronter les afflictions avec plus de sérénité. Le tout, est de savoir comment dompter la situation. Maître Xun nous éclaire ici en expliquant que garder la Voie permet d’aider à traverser des instants compliqués.
Il s’agit d’utiliser ce moment en notre faveur.
Un érudit Confucéen disait : « Il faut suivre la Voie lorsque cela est possible, sinon il faut transformer. » [4].
Ce savant souhaite dire, selon moi, qu’il faut exploiter une mauvaise passe pour en extraire du bénéfique. C’est pour cela qu’il utilise le terme de « transformer » lorsqu’il devient difficile de s’appliquer à suivre la Voie Confucéenne. Il s’agit de transformer une infortune.
Me concernant, pour remodeler un moment d’accablement, je me concentre sur l’étude des textes Confucéens. Cela me permet d’avoir la Voie devant les yeux fréquemment pour ne pas me perdre dans des idées toxiques. Je pratique aussi des exercices de méditation, qui se base sur le vide taoïste. De la sorte, je clarifie mon esprit embrumé par une mauvaise passe. Je pratique également une activité physique pour convertir ces énergies impures en effort physique. Et enfin, je repense à la vie du Maître qui est passé par de nombreux épisodes désolants mais qui a toujours persévéré dans sa Voie et j’y trouve du réconfort.
Conclusion : de longs pèlerinages
Pour conclure cet article je veux partager une réflexion personnelle.
Je pense que les anciens comme le Maître ont souffert de maux afin que leurs enfants spirituels puissent regarder constamment dans leurs directions pour ne pas perdre espoir.
Le Maître a été un modèle, tant par son enseignement que par sa vie. A notre tour d’emprunter un chemin similaire et de continuer à étudier la Vertu avec ténacité. Les douleurs passeront, mais nos actions généreuses resteront. J’en suis convaincu.
Un jour, au bord d’un fleuve, le Maître dit : « Tout passe comme cette eau ; rien ne s’arrête ni jour ni nuit ! » [5].
[1] 9 : 26 Lunyu (Entretiens) Trad. P. Séraphin Couvreur
[2] 4 : 5 Lunyu (Entretiens) Trad. P. Séraphin Couvreur
[3] Chapitre 28 Xunzi, page 319, éditions Cerf, Trad. Ivan Kamenarovic. Entre crochets, ajout de ma part pour clarifier le propos.
[4] 4 : 16 Fayan (Maîtres Mots), éditions Belles Lettres, Trad. Béatrice L’Haridon
[5] 9 : 16 Lunyu (Entretiens) Trad. Anne Cheng
Une réflexion au sujet de « La vie de Maître Kong : modèle de persévérance »