Le passé, un générateur d’amertume ?

Chers lecteurs,

Les beaux jours sont enfin présents.

Un ciel azur, de rares nuages blancs qui flottent lentement et l’astre solaire qui nous nourrit de sa chaleur.

L’été débute et marque par conséquent la fin du cycle printanier. C’est le commencement pour beaucoup d’entre nous d’une période de repos qui s’étend plus ou moins jusque Septembre.

C’est aussi l’occasion pour moi de vous parler d’un sentiment qui naît fréquemment à cette période : la nostalgie. Cette émotion qui vit toujours dans le passé et génère de l’amertume.

– Me baladant récemment proche de mon ancien lycée, beaucoup de souvenirs me sont revenus. Des bons et des mauvais moments. Mon entrée au lycée, mon premier amour, de nouveaux amis, l’anxiété du baccalauréat, la transition vers l’âge adulte, les questions d’identité, ne jamais se sentir à sa place et enfin quitter cet établissement pour les études supérieures.

Je voyais en parallèle les jeunes gens qui sortaient de mon précédent lycée. Plein de candeur, fraichement adulte mais aussi maladroits et parfois stupides. La vue de cet attroupement n’a fait que renforcer ma sensation de déjà-vu.

Sur l’instant j’ai connu une nostalgie très forte. Une forme d’étourdissement qui m’a fait réaliser que ce temps là était au moins dix années derrière moi et que la Vie se consume rapidement. La naïveté de cette époque s’est envolée et je dois faire face aujourd’hui à d’autres problématiques sans pouvoir être insouciant comme je l’étais à cette époque.

– Un autre exemple de passé que je ressasse est celui de la fin de mes études supérieures. Je m’étais beaucoup impliqué dans ces travaux. Trouvant des idées, des hypothèses de travail ou proposant des solutions. Certes, tout n’était pas forcément pertinents, mais je le faisais honnêtement et avec persévérance.

Les personnes qui dirigeaient ces recherches ne me prenaient pas toujours au sérieux, ce qui ne me perturbait pas particulièrement. Cependant, parfois, elles avaient des remarques ou des attitudes qui me faisaient passer pour un idiot, tout en récupérant le crédit de certaines de mes propositions.

Remuer ces évènements d’hier me cause souvent de la rancœur et du dégoût.

Une fois la nostalgie ou l’aigreur installées, que faire pour extraire ce vinaigre du cœur ?

Maître Kong donne un élément de réponse avec l’anecdote suivante :

Un des disciples du Maître parlait avec le prince de Lu à propos d’anciennes traditions de dynasties tyranniques. Entendant ces paroles le Maître dit : « De ce qui est fait, n’en parlons plus ; inutile d’y revenir ; le passé est passé. » [1].

Selon moi, cette parole du Maître est un excellent point de départ pour s’affranchir de l’aigreur que peut procurer la nostalgie.

Une explication possible de ce propos peut être qu’il ne faut pas nourrir un sentiment qui part d’une mémoire pénible. Accumuler les regrets et les répéter inlassablement dans son esprit ne peut qu’attirer du mauvais sur soi, puis sur les autres par frustration.

Revoir des scènes malheureuses pour alimenter la haine contre autrui et stimuler la vengeance est un exemple symptomatique de répétition d’un triste vécu.

Ailleurs, le Maître suggérait par son attitude qu’il fallait même éviter d’en parler afin de ne pas exalter un mauvais penchant humain : « Le Maître ne parlait pas des choses extraordinaires, ni des actes de violence, ni des troubles, ni des esprits. » [2].

Mais donc, le passé doit-il être intégralement renié ?

Évidemment que non. On ne peut faire fi de notre histoire. C’est une source d’expérience, d’apprentissage et de beaux moments. Notre vie est aussi le foyer de leçons à tirer et d’enseignements à retenir. Par exemple, le Maître s’exprimait ainsi sur les rites et les normes sociales d’une ancienne dynastie Chinoise : « Les rites établis par les fondateurs de notre dynastie Zhou s’inspiraient de ceux des deux dynasties précédentes, Xia et Shang. Quelle noblesse ! Quelle perfection ! C’est à eux que j’adhère pleinement. » [3].

Autrement dit, Maître Kong se plaît à extraire des conseils des anciennes règles de courtoisie de la dynastie Zhou. Ainsi, il puise dans le passé pour le bien du présent. On retrouve cet état d’esprit dans l’affirmation suivante : « Le bon maître est celui qui, tout en répétant l’ancien, est capable d’y trouver du nouveau. » [4].

Que conclure ?

Notre passé peut être à double tranchant : générateur d’amertume ou école de la Vie. Il faut diminuer le premier et exalter le second.

Dans les deux exemples que j’ai cité ci-dessus, je tente de transformer (sur la notion de transformation voir l’article précédent) les souvenirs pour en extraire uniquement le bon : les amitiés loyales du lycée, l’expérience humaine et la solidification de mes qualités avec les études supérieures. C’est une façon de construire avec l’ancien, d’utiliser des expériences pour magnifier la Vertu et la préserver dans mon cœur aujourd’hui.

Un autre élément important pour exciter le bon plutôt que le mauvais est de ne pas remuer les vieilles cicatrices en les discutant maladroitement. Typiquement, se rappeler d’un tel pour l’insulter parce qu’il y a tant d’années son action était mauvaise est une chose à éviter. La vengeance est clairement contraire à l’éthique Confucéenne.

Si l’on cherche à harmoniser les relations humaines en adoptant la Voie Confucéenne, nourrir les vieilles rancœurs et déterrer la hache de guerre n’a pas de sens. Ce n’est pas de la sorte que l’on magnifiera la beauté de l’Homme et ses Vertus. Le Confucéen cherche toujours à tendre vers l’idéal vertueux, c’est pour cela qu’il paye attention à exciter le bon préférablement au mauvais.

Autrement que la revanche amère, du passé peuvent aussi surgir des regrets. Je suis convaincu que l’on peut éviter ce sentiment en épousant une attitude saine et en essayant d’être irréprochable moralement. De cette façon, nous savons que le maximum a été fait pour nous soustraire des mauvaises actions et éviter d’avoir de tristes mémoires.

Ainsi, efforçons nous d’adopter une attitude Vertueuse, propre au Junzi (le Confucéen accomplit, l’homme de bien). Utilisons le passé afin de progresser dans la Voie, plutôt que que pour nous en écarter. De cette manière nous ne laisserons pas une marque souillée dans l’histoire humaine et n’aurons aucun souvenir amer.

Maître Kong dit : « L’inquiétude de l’homme de bien, c’est de disparaitre sans laisser la marque d’une vie exemplaire. » [4].

 

[1] 3 : 21 Entretiens (Lunyu) Trad. André Lévy

[2] 7 : 20 Entretiens (Lunyu) Trad. P. Séraphin Couvreur

[3] 3 : 14 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng

[4] 2 : 11 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng

[5] 15 : 19 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng

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