Je dédie cet article à Catherine, modèle d’intégrité au milieu des injustices.
Chers lecteurs,
Cela fait longtemps que je voulais parler d’un sujet qui me tient à cœur : la justice. Cette valeur m’a toujours fascinée et a toujours été centrale dans mes réflexions intellectuelles, des plus puériles au plus adultes.
Qu’elle soit de l’ordre des relations personnelles ou de la vie politique, elle me semble fondamentale. Être juste est une vertu que le Maître a magnifié comme nous allons le voir dans la suite. J’écris cet article sous l’impulsion d’un problème que j’ai rencontré avec quelqu’un de mon entourage à propos d’un projet commun. Je commencerai donc ce propos sur la justice dans le Confucianisme avec cette anecdote, puis, j’illustrerai avec une autre.
– Je me suis dernièrement retrouvé à décharger le surplus de tâche d’un collègue de travail. Celui-ci gère entièrement un projet à lui seul et s’est vu affecté des activités supplémentaires. La situation devenait intenable pour lui, il progressait difficilement. Par conséquent, certaines de ses responsabilités m’ont été attribuées afin de pouvoir l’épauler. J’ai accepté, sans rechigner, car la finalité du projet me plaisait. Cette collaboration s’est faites agréablement et en très bonne entente, ce qui n’a fait que stimuler ma motivation. Mon activité a été saluée par ce partenaire, à ma plus grande joie. Puis, nous nous sommes retrouvés tous les deux avec un examinateur qui m’a demandé si j’étais en charge de l’entreprise. Mon camarade a tout de suite interrompu cette discussion en expliquant qu’il était lui seul le meneur de l’opération et qu’il en gérait l’intégralité. J’ai vécu ce moment comme un mépris profond de ce que j’avais achevé et de l’injustice à l’égard des efforts que j’ai fourni. Cette situation m’a rendu terriblement amer et hostile envers mon compagnon.
– Sur un ancien lieu de travail j’ai été confronté -en tant que spectateur- à des situations profondément injustes. Parmi elles, celle d’un employé de l’établissement qui s’occupait de l’entretien des sanitaires. Personne ne le saluait ou simplement lui adressait la parole. Si bien que parfois, lorsqu’il lavait, les autres membres de l’entreprise passaient à côté de lui sans même payer attention au malheureux. Étant un des rares à le saluer, nous avons lié une relation d’amitié au fil des années. Lors d’une discussion il m’a confirmé que le nombre de personnes qui le considérait se comptait sur les doigts d’une main. En dehors du manque flagrant de bienséance à l’égard de ce monsieur, il y a là, selon moi, une profonde injustice sociale et de « classe ».
Nous venons de voir deux exemples du quotidien qui peuvent illustrer l’injustice de deux façons. La première illustre l’injustice par intérêt ; la seconde, l’injustice par jugement de valeur sociale.
Quels effets néfastes ces attitudes sans fondements ont ?
Le premier exemple sera plus aisé à discuter car il me concerne directement et je sais ce que j’ai ressenti et pensé à l’instant décrit. Premièrement j’ai été profondément déçu du traitement infligé. Très sincèrement, je ne demandai rien d’autre qu’une juste reconnaissance de ce que j’avais achevé. Que ce collègue exprime sa responsabilité ne pose aucun problème, mais ne pas mentionner le partage des tâches était déplacé selon moi. Secondement, j’ai commencé à être amer envers ce collègue et a réagir avec véhémence au moindre détail qui clochait, manifestant ainsi une profonde rigidité à son égard. Ainsi, l’harmonie entre deux personnes, qui par ailleurs s’entendaient bien, a été brisée. J’ai également fait part d’un jugement obscurci à cause de mon ressentiment et d’un besoin de reconnaissance.
La seconde anecdote m’avait touché à l’époque. Ce monsieur, très discret, ne recevait aucune marque de respect. Pas même un bonjour. Je me souviens de la tristesse dans son regard lorsqu’il m’avait dit qu’uniquement une poignée de personnes le saluait. Cependant, il continuait son travail, silencieusement. Je n’ose pas imaginer la douleur de cet homme, d’un certain âge, confronté à d’autres plus jeunes que lui qui ne le regardaient pas à cause de son statut « inférieur ». Par chance, ce mépris de classe n’a pas eu d’effet majeur sur ce brave homme car il est resté calme et bienveillant. Mais je suis convaincu que ce jugement injuste peut générer des conflits et alimenter une haine profonde si la situation n’est pas maitrisée.
Au total, nous pouvons voir qu’à partir de deux histoires banales de sérieux impacts sociaux peuvent être engendrés. Quelles sont les réponses Confucéennes à cela ?
Premièrement, lorsque l’on ressent une injustice il est fondamental de bien peser et étudier la situation. De ne pas confondre injustice et égocentrisme. Nos émotions, nos pensées peuvent obscurcir le jugement. « Il faut conjecturer et soupeser, il faut scruter et calculer. » [1].
Le juste doit être notre étalon et ne pas nous perdre dans la brume de nos intérêts est indispensable. Le Maître disait à ce propos : « L’homme de bien ramène tout à une question de justice, l’homme de peu à des questions d’intérêts. » [2].
Typiquement, dans le premier exemple, m’égarant dans un besoin de reconnaissance mon jugement a été perturbé et aurait pu créer des ennuis importants avec ce collègue. Voilà pourquoi il est nécessaire de se distancer de soi-même et de bien observer afin de jauger correctement. J’ai compris plus tard que ce collègue était maladroit dans ses paroles plutôt que malhonnête.
En plus du besoin d’analyse précise, une attitude est à adopter afin de rétablir la norme juste. Pour cela, le Maître a expliqué que « C’est par la droiture qu’on fait face à un tort. » [3]. De la sorte, en bon Confucéen, nous exaltons la vertu de justice face à la partialité d’une personne en restant intègre et sérieux.
Ces qualités sont aussi valables lorsque nous sommes face à autrui. Dans le second exemple, certains se permettaient de faire preuve de dédain à l’égard de l’homme de ménage à cause de son poste. Pour être juste il est fondamental de mettre de côtés nos jugements préconçus afin de retrouver une vision pure. C’est ainsi que le Maître acceptait comme étudiant quiconque le remerciait rituellement (chose rare, voir unique aux temps de Maître Kong). Il ne faisait pas de distinction sociale.
« Je n’ai jamais refusé d’instruire quiconque pourvu qu’il m’apporte le cadeau rituel. » [4].
Toujours dans le même esprit, le Maître disait aussi : « L’homme honorable aime tous les hommes et n’a de partialité pour personne. L’homme de peu est partial et n’aime pas tous les hommes. » [5].
Ce que je souhaite illustrer ici c’est le mal que peut provoquer un égarement dans l’arbitraire et la perte d’harmonie que cela peut causer. C’est regrettable, mais il faut souvent peu pour détruire le beau. Une fleur n’est elle pas une merveille naturelle d’une grande fragilité ? Encore heureux que la noblesse d’âme soit dans le coeur de certains, afin que par largesse ils ne nourrissent pas la polémique autour de l’injustice.
Pour conclure je souhaite rappeler que les injustices du quotidien peuvent être des générateurs de conflits importants. Ces discordes peuvent démarrer d’un rien. C’est pour cela que celui qui souhaite se mettre à l’école de Maître Kong, et devenir un homme de bien se soucie de bien mesurer. Cela, dans un souci de préserver l’harmonie, la justesse et la paix la plus noble qui existe entre les individus.
« La Vertu qui se tient dans le milieu juste n’est-elle pas la plus parfaite ? » [6].
[1] 13 : 5 Printemps et automnes de Lü Buwei (Lüshi Chunqiu) Trad. Ivan P. Kamenarovic. D’après le traducteur, ce passage est de la plume d’un lettré issu d’une école de pensée légiste.
[2] 4 : 16 Entretiens (Lunyu) Trad. André Lévy
[3] 14 : 36 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng
[4] 7 : 7 Entretiens (Lunyu) Trad. Jean Levi
[5] 2 : 14 Entretiens (Lunyu) Trad. P. Séraphin Couvreur
[6] 6 : 27 Entretiens (Lunyu) Trad. P. Séraphin Couvreur
Très pertinent et très fluide à lire comme toujours.
Une question me vient à l’esprit : comment avoir l’esprit en paix dans un monde où les injustices sont légions ?
Sincères salutations
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Cher Virux,
Merci pour votre message flatteur.
L’esprit est en paix dans l’étude et l’intégrité, au même titre que le Maître à travers toutes les épreuves qu’il a dû surmonter. Je vous invite à jeter un oeil à l’article sur la vie du Maître qui a été publié il y a quelques semaines. Merci encore 🙂
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