Le projet social Confucéen : de la piété filiale à l’harmonie (1)

Ce sujet sera divisé en deux articles, un premier traitant de la piété filiale puis un second de l’harmonie. Étant donné l’aspect général, théorique et peu intimiste du sujet d’ensemble, les exemples que je vais utiliser peuvent être plus abstraits qu’habituellement. Je souhaite également souligner que le projet social Confucéen ne se réduit pas qu’à la piété filiale et à l’harmonie. Ces deux critères que j’ai choisis reflètent selon moi les valeurs cardinales du projet social Confucéen. Dans un souci de comprendre le mécanisme de ce programme, je vais débuter par le cercle intime et l’importance de la piété filiale pour ensuite étendre l’effet de cette vertu à l’ensemble de la société. L’objectif final étant l’harmonisation des relations sociales.

Première partie : la piété filiale, la force de l’exemple en famille

Cher lecteur,

La piété filiale, ou respect dû aux ancêtres, est une notion qui touchait particulièrement le Maître. D’après la tradition, le Maître n’a pas connu son père et cela l’aurait marqué profondément.  Cette absence se traduira par une sensibilité profonde au respect dû aux aïeux. C’est un sentiment qu’il professa inlassablement comme une des sources de l’harmonie au sein d’une famille. C’est l’exemplarité dans l’attitude de l’enfant filial et du parent responsable qui est à l’origine de l’harmonie d’une famille, puis du microcosme et de l’ensemble de la société.

A travers plusieurs anecdotes je vais illustrer l’importance des bonnes relations et de la bonne tenue des membres d’une même maisonnée.

– J’ai connu une personne lors de mon adolescence qui reproduisait à l’identique la manière de se passionner de son père pour un sujet. Un exemple marquant était en rapport à la musique. Le père et l’enfant avaient tous les deux un musicien favori (chose assez habituel me direz-vous). Curieusement, la manière dont le père s’investissait comme admirateur était reproduit similairement par l’enfant : forum de discussion communautaire autour de l’artiste, « fétichisme » associé au musicien ou écoute de la musique de façon quasi-rituelle. L’attitude adoptée par les deux était mimétique, le père indiquant la direction à prendre à son descendant implicitement. Il est dur de retranscrire intégralement ce sentiment de déjà-vu dans le comportement entre les deux personnes. Cependant, j’espère que vous comprendrez la sensation dont je parle en lisant ces quelques lignes.

– Suite à plusieurs longs séjours dans un pays étranger j’ai eu l’opportunité de découvrir les mœurs des autochtones en rapport aux anciens et aux morts. Différemment de ce que l’on peut voir en France, les vieux de ce pays étaient tenus en haute-estime et une famille vivait traditionnellement autour d’un ou plusieurs anciens. Lorsque la personne âgée devenait inapte elle venait vivre chez ses descendants, ou alors, les plus jeunes passaient quotidiennement prendre soin du grand-père ou de la grand-mère. Toujours dans ce pays, j’ai pu remarquer que les cimetières étaient très bien entretenus et recevaient régulièrement des visiteurs. Les habitants de ce pays gardent précieusement le souvenir de leurs défunts et tentent de respecter les engagements pris avec eux lorsqu’ils étaient encore vivants. Par ailleurs, je pense que ces comportements influencent indirectement les plus petits. Effectivement, les jeunes faisaient preuve de plus de discipline que ce que l’on a l’habitude de rencontrer en France, notamment face aux adultes.*

Il y a plusieurs points que je souhaite évoquer à l’issue de ces deux histoires. Le premier, qui est révélé dans les deux exemples, est l’importance de l’exemple donné par les parents.

Le modèle parental est inévitablement le socle de l’attitude qu’un enfant va adopter. Par simple processus mimétique, lié à la biologie (voir la théorie des mèmes, proposée par Susan Blackmore), et par exposition prolongée. De plus, il y a le besoin de transmettre des valeurs auxquelles on croit à sa descendance pour les perpétuer. Cette diffusion d’idées se fait par l’éducation et le comportement que l’on adopte au quotidien. Nous pouvons constater cette imitation avec la personne qui reprend la même façon que son père de gérer sa passion musicale (premier cas). Ou encore la dévotion et la discipline des enfants rappelant celles des parents à l’égard de leurs propres parents (second cas).

Dans les Entretiens de Confucius on apprend par le fils du Maître qu’il recevait une éducation identique à celle des disciples. Autrement dit, la rigueur et les attentes du Maître étaient pareilles pour ses disciples que pour son fils [1]. Cet épisode nous indique un élément d’éducation intéressant. L’attitude du Maître était égale en ce qui concerne l’éducation de ses disciples et de son fils. Par-là, il illustre son objectivité en rapport aux attentes morales des personnes qu’il côtoie. Il n’agit pas avec complaisance avec les uns ou avec les autres, enseignant donc la rigueur par son comportement.

Ce que je souhaite dire au total avec ce premier point est l’importance de l’influence de l’attitude que l’on emprunte avec nos proches (ici entre parents et enfants). C’est une responsabilité des parents d’adopter le comportement approprié pour tenter d’amener leur progéniture vers un idéal. Selon le modèle Confucéen, le devoir des parents est de l’ordre de l’éducation morale. Ce dernier est sublimé par un comportement qui correspond à l’enseignement donné.

Parallèlement, les enfants ont aussi leurs responsabilités, que je vais aborder maintenant avec le second point .

Un autre aspect que nous pouvons extraire des anecdotes sont les notions de respect et d’humilité nécessaires dans les relations familiales. Ces qualités concernent les enfants, tout âge confondu. Le premier exemple montre un enfant qui suit humblement le modèle du père en reproduisant la manière de faire. Mon propos est plus flagrant avec la seconde histoire. Effectivement, les jeunes générations tiennent en haute estime les anciens et en prennent soin avec beaucoup d’attention, symbole d’un profond respect. La discipline des plus jeunes quant à elle traduit l’humilité à l’encontre des plus âgés.

Je pense que c’est ce que le Maître veut dire ici : « Un jeune doit être respectueux, chez lui envers ses parents, dehors envers ses aînés. N’étant pas prodigue de promesses, il tient celles qu’il a faites. Sa sympathie s’étend à tous les hommes, tout en privilégiant ceux qui pratiquent le ren. Et, s’il en a encore le loisir, il peut se consacrer à la culture des arts. » [2] (Rappel à propos du ren).

Le Maître insiste particulièrement sur le respect attendu des enfants, sans lequel la relation hiérarchique est dépourvue de sens : « De nos jours on entend par la piété filiale être en mesure de les nourrir. Qui ne saurait en faire autant pour ses chiens et ses chevaux ? Sans y joindre le respect, quelle différence ? » [3].

Que dire de ces différentes caractéristiques ?

Les parents éduquent et sont les exemples à suivre. Plus précisément, les parents sont les premières personnes qu’un individu rencontre dans sa vie. Ce sont les personnes auxquelles il est confronté dès son enfance. D’où le besoin des parents de considérer sérieusement leurs attitudes et l’éducation qu’ils lèguent. Le mimétisme jouant un rôle biologique important, des comportements déviants peuvent avoir de lourds effets sur la croissance d’un petit sur le long terme. De l’autre côté, les enfants doivent se montrer reconnaissants en adoptant une attitude sérieuse et humble. Ainsi, les cadets apprennent à écouter et à respecter les autres. L’ensemble formant un tout théoriquement cohérent et harmonieux du premier microcosme de la société : la famille.

C’est pour cela que la piété filiale est fondamentale dans le projet social Confucéen. La source de l’apprentissage moral se situe en grande partie dans la famille, puis se prolonge dans l’étude et la culture de soi. Si ce noyau, que représente la famille, est corrompu, comment le reste ne le serait-il pas ?

Un disciple du Maître exprime cela à cette occasion : « Rares sont ceux qui, exemplaires à l’égard de leurs parents et de leurs aînés, tendent à se monter contre leurs supérieurs, et à plus forte raison à fomenter des rebellions. L’homme de bien travaille à la racine. C’est sur des racines bien ancrées que la voie peut croître et s’épanouir. Piété filiale et respect des aînés ne sont ils pas la racine même du ren ? » [4].

Le travail à la racine dont il est question ici est celui de la famille. Il permet d’élever des personnes respectables qui sauront s’intégrer socialement et coopérer harmonieusement avec leurs supérieurs. Effectivement, le modèle familial aura pré-établis ce type de fonctionnement qui vise à l’entente entre les personnes par le respect et le sens des responsabilités.

De façon plus générale, cette extension de la piété filiale à la vie en société est la thèse principale d’un classique Confucéen : Le Livre de la Piété Filiale (Xiao King). Constatez : « La piété filiale commence avec les devoirs envers les parents. Elle continue par la loyauté envers le prince : elle s’achève par l’établissement de la réputation d’être un homme de bien [le junzi, homme vertueux Confucéen] » [5]

Et « Qui aime ses parents n’osera haïr personne. Qui respecte ses parents n’ose mépriser autrui. L’amour et le respect épuisent les devoirs envers les parents. » [6].

Grandissant, je commence à comprendre la difficulté (qui frôle l’impossible) qu’est le rôle de parent. L’abnégation et la patience sont des qualités de tous les instants pour eux. Reconnaitre ces efforts est le début du respect et de l’humilité envers nos parents. Ces vertus qui enseignent la modestie et calment l’arrogance rayonneront plus tard en société ; après s’être exprimées dans l’intimité.

Pour conclure, je vais citer le Maître qui s’appuie sur le Classique des Documents : « Respectueux envers vos parents et bienveillants envers vos frères, vous ferez fleurir ces vertus partout sous votre gouvernement. Faire régner la vertu dans sa famille par son exemple, c’est aussi gouverner. » [7].

 

*Ces remarques ne sont évidemment pas à prendre comme une règle indépassable, mais plutôt une tendance que j’ai constaté.

|1] 16 : 13 Entretiens (Lunyu). Retrouvez le passage en question ici.

[2] 1 : 6 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng

[3] 2 : 7 Entretiens (Lunyu) Trad. André Lévy

[4] 1 : 2 Entretiens (Lunyu) Trad. Anne Cheng

[5] 1 Livre de la Piété Filiale (Xiao King) Trad. Roger Pinto légèrement modifiée par mes soins pour la rendre plus accessible. Entre crochets, un rappel sur l’homme de bien Confucéen, celui qui incarne la noblesse des valeurs morales Confucéennes.

[6] 2 Livre de la Piété Filiale (Xiao King) Trad. Roger Pinto

[7] 2 : 21 Entretiens (Lunyu) Trad. P. Séraphin Couvreur.

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