Les Entretiens de Ruzi – Chapitre 5

Pour rappeler le contexte de rédaction des « Entretiens de Ruzi » je vous invite à relire l’introduction de ce projet. Bonne lecture !

1. Les disciples consultèrent le Maître a propos de son ancien enseignant, Maître Xun. Il répondit : « Maître Xun était d’une très grande rigueur et d’un rare génie intellectuel. Il avait une apparence dure et froide mais en réalité aucun détail n’échappait au Maître, surtout concernant ses élèves. Il portait beaucoup d’attention à ses disciples mais il l’exprimait peu. Plutôt que d’être affectueux il se contentait de voir sur le long terme quel poste pouvait convenir à ses disciples et il rassurait régulièrement les parents des élèves travailleurs. Il reprenait aussi seul à seul les disciples qui commettaient des fautes en leur expliquant leurs erreurs. Han Fei et Li Si ne comprenaient pas cela et se sont soustraient à l’enseignement du Maître, se croyant méprisés. C’est en passant du temps auprès du Maître et avec de la patience que j’ai compris que le Maître témoignait son amour paternel différemment. Au final, je préfère un enseignant qui dit peu mais fait beaucoup pour ses étudiants, que celui qui complimente à longueur de temps mais est absent quand il faut agir. »

2. C’est en expérimentant la pauvreté que l’on comprend les besoins et les inquiétudes des petites gens. Un riche n’a certainement pas les mêmes préoccupations, et par conséquent, ne peut saisir ce qu’un indigent souhaite.

3. Un soir le Maître s’était rendu à la bibliothèque de la capitale pour écouter des lettrés discuter du Ciel. Le lendemain, un disciple lui demanda : « – Maître, avez-vous appris des matières intéressantes ? – Figures toi que non. À part voir des individus qui tergiversent sur la substance du Ciel, sa rationalité et sa possible antériorité je n’ai rien appris, ni compris. Ces discussions fantaisistes me paraissent bien éloignées des problèmes matériels et moraux que nous vivons actuellement. Avons nous besoin de ce type de discussion alors que nous n’en sommes qu’à tenter d’amener le peuple vers la vertu ? »

4. Les jeunes gens sont souvent idiots. Puis, je me souviens à quel point j’étais détestable en étant jeune. Je redeviens alors patient.

5. Le Maître était accusé par un fonctionnaire d’être réfractaire au progrès. Il répondit alors : « Je n’aime pas ce que vous en faites. C’est différent. »

6. Sur le même sujet le Maître disait aussi : « Ce sont les nouvelles techniques qui doivent s’adapter aux vertus et non pas les nouvelles techniques qui doivent modifier les vertus. »

7. Un disciple souhaita connaître le fond de la pensée du Maître et demanda alors :
« – Maître, je ne comprends pas cette ambiguïté qui règne entre la doctrine de Confucius que vous enseignez et l’apparition de nouvelles méthodes ? Pourquoi êtes-vous critiqué et moqué comme un obscurantiste sur ce sujet ?
– Tu soulèves une question très intéressante. Mes enfants, écoutez attentivement. Les nouvelles techniques changent le quotidien des Hommes, la plupart du temps en leur facilitant le quotidien et en leur octroyant du temps libre supplémentaire. En cela, c’est louable, car les Hommes peuvent alors consacrer du temps à l’étude, soit morale, militaire, liée à la musique ou à l’agriculture, mais encore à leurs familles. C’est ainsi que notre peuple avance et contourne les problèmes tout en améliorant le confort. Cependant, la nature humaine étant mauvaise elle détourne souvent ces outils pour assouvir ses désirs égoïstes et aliéner l’esprit des Hommes. Ce qui était avantageux devient alors vicieux. Par exemple, l’élaboration de l’alcool, utilisé pour célébrer une rencontre se détourne en beuverie. Si il n y a pas en amont une garde pour régler l’humeur, les plaisirs enfoncent l’Homme dans le débauche et l’excès. C’est pour cela que les anciens Rois ont instauré les rites. C’est la meilleure façon d’amoindrir notre penchant naturel à tout corrompre par soumission aux plaisirs dictés par nos enveloppes charnelles. Voilà pourquoi aux yeux des inventeurs je suis un obscurantiste : car je n’applaudis pas immédiatement chaque nouvelle création. »

8. « – L’élaboration de nouveaux outils est elle mauvaise alors ?
– Ce ne sont pas les outils qui sont mauvais, mais ceux qui les utilisent. Les nouvelles techniques par elles-mêmes sont inertes, mais celui qui les utilise les corrompt à cause de sa propension à se vautrer dans les plaisirs égoïstes. Ainsi, ce sont les outils qui doivent servir les hommes, et non les hommes qui doivent en devenir les esclaves. »

9. « – Comment faire alors pour utiliser ces nouveaux outils ?
– Une fois une nouvelle technique répandue, un retour en arrière est presque impossible. Ainsi, avant de démocratiser son utilisation, il doit y avoir en amont une préparation morale suffisante de l’Homme et une réflexion autour de cette nouvelle méthode afin de savoir si elle générera une trop grande perversion de mœurs. »

10. « – Pouvons-nous dire que vous êtes méfiant à l’égard des nouveautés techniques Maître ?
– Oui, je ne vais pas me dissimuler hypocritement. Pour être précis, je suis vigilant. La tendance naturelle de l’Homme à se soumettre à ses désirs et ses pulsions m’inquiète. Surtout lorsqu’un nouvel élément apparaît comme une éventuelle tentation. Voilà pourquoi l’exemple vertueux est fondamental dans une société, afin de soustraire au maximum les Hommes à leur nature. Inculquer les vertus par l’étude et le modèle type sont les meilleurs moyens d’améliorer l’Homme. Et cela, les anciens Rois l’ont bien compris en instaurant les rites et en étant eux-mêmes exemplaires. »

11. « – Mais Maître, je ne vois pas bien le lien entre l’influence des anciens Rois et les nouvelles techniques.
– C’est bien simple. Les anciens Rois stimulaient la Vertu par la Voie. Cela s’est fait par l’instauration des rites et des infrastructures qui éduquent le peuple. C’est cela que Confucius exaltait et s’efforçait d’enseigner. De cette façon, ils détournaient les Hommes des méfaits qu’ils commettaient et ordonnaient la société dont ils étaient responsables. Si l’on enlève cet appareil éducatif, le retour au naturel se fait en une génération et le vice reprend ses droits. Ainsi, sans cet appareil éducatif en amont, les Hommes n’auront pas la Sagesse suffisante pour utiliser avec un minimum d’intelligence les nouveautés. »

12. Le vice et la vertu sont contagieux.

13. Celui qui possède peu arrive à se satisfaire de la contemplation de simples phénomènes naturels : une fleur, la lune, un chant d’oiseau…

14. Méfiez vous de ceux qui sont appréciés de tous. Ne fuyez pas ceux qui sont méprisés de tous. Faire l’unanimité dans un sens ou dans l’autre est toujours douteux.

15. Plus vous compliquez, plus vous vous éloignez.

16. Si tu souhaites éviter le bavardage, il est préférable d’attendre que ton interlocuteur finisse sa phrase. Sans l’interrompre dans son discours, attends silencieusement. Plus ce dernier sera loquace, plus ton silence sera pesant et ta prise de parole marquante. De la sorte, tu mets une garde à ta bouche et tu peux écouter attentivement ce qui est dit.

17. En présence de ses disciples le Maître dit : « Tirer la queue d’un tigre et espérer qu’il reste calme est stupide, n’est ce pas ? » Tous les disciples acquiescèrent. « Pourquoi les princes d’aujourd’hui font-ils la même chose avec les milles familles ? Cela me dépasse. Épuiser par des taxes insensés le peuple et penser qu’il n’y aura pas de réaction est tout aussi idiot que de tirer la queue d’un tigre. Un disciple dit alors :
« – Maître, je crois qu’ils sont tellement écartés de la réalité quotidienne du monde qu’ils sont incapables d’avoir ce type de réflexion.
– Tu as bien raison mon fils. Tu as visé juste. »

18. La persistance dans la vertu fait la différence entre le véritable Homme de bien et celui qui est superficiel.

19. En cas de conflit, quels sont les moyens envisageables quand la discussion est impossible ? Je ne sais pas. Mais je sais que des alternatives brutales surgiront rapidement.

20. L’harmonie, établie selon la Voie Confucéenne, est comme la corde d’un arc. Tendez trop, elle se brise. Pas assez, elle est inutile. L’harmonie, en société, apaise les relations entre le hauts et le bas. L’harmonie, en famille, préserve le bonheur de la maisonnée. L’harmonie, en soi, assure la clarté de l’esprit et une analyse limpide. Brisez cette harmonie, quel que soit le niveau, va générer des conflits. En société, être le haut et le bas. En famille, entre parents et enfants. En soi, entre les émotions et le réel.

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